Qu’avait-il fallu pour qu’elle se retrouve ici ? D’interminables semaines de dépendance. En dehors de sa terre natale, Tomoe avait perdu tout sens de l’orientation, si bien qu’elle ne pouvait compter que sur le hasard pour guider ses pas, à défaut de rencontrer quelque voyageur que ce soit en ces terres au climat hostile. La dernière lutte à laquelle elle s’était livrée avait endommagée son armure à un tel point que celle-ci avait perdu tout aspect pratique, réduite à un amas de morceaux de ferraille maintenus ensemble par la volonté divine, qui pesait néanmoins toujours un certain poids. Une raison suffisante pour la guerrière aux yeux de saphir de la remiser dans un des tatouages présents sur ses avants-bras, afin de ne plus en entendre parler. Elle était devenue illégitime, et l’ornement du casque, resté intact, lui rappellerait bien trop cet échec pour qu’elle accepte de faire comme si de rien n’était.
Avec le recul il était pourtant risible qu’une bugeisha s’étant déshonorée aux yeux de son monde tienne encore à ne pas perdre la face dans une vie qui n’était pas la sienne, dans un territoire ou elle n’avait à priori pas à être. Mais avais-elle un autre choix ? Après avoir refusé de mourir parce que l’on n’estimait pas son heure venue, il aurait été malvenu de ne pas s’accommoder des possibilités dont on disposait. Sans maître, elle n’avait toutefois aucun but, sinon celui de revenir un jour à Tetsu pour réincarner la véritable signification du Code d’Honneur. Un projet qu’elle ne pouvait encore mener à terme, faute de force. Si elle y allait maintenant, nul doute que sa tête se détacherait dans les cinq premières minutes, face au torrent de Justice qui se dresserait face à elle. La décision était irrévocable. Sa présence ici n’avait aucune signification, il lui fallait une cause à servir, au moins pour le temps que lui prendrait les préparatifs de son retour.
Pourtant, plus Tomoe s’enfonçait dans le territoire shinobi, moins ce qu’elle recherchait semblait accessible. Les seuls êtres humains amenés à croiser sa route n’étaient que des civils simplets, au mieux des commerçants en mesure de lui indiquer une direction à poursuivre. Elle ne savait pas où elle allait et les badauds semblaient prendre un plaisir certain à faire que cette parfaite inconnue à leurs mœurs se perde toujours plus loin de son berceau.
Son errance avait fini par la conduire dans une forêt dont on lui avait à de nombreuses reprises vanté le caractère hanté. Une terre souillée par le sang de nombres de shinobis de deux clans distincts, s’étant entretués en ce lieu pour des raisons qui n’avaient pu lui être révélées, et qu’elle n’était pas en mesure de comprendre. L’unique conclusion qu’elle en tira fut qu’il lui serait ardu de trouver une cause véritablement digne que l’on se batte pour elle, si ces contrées étaient atteintes du même mal que la terre des samouraïs.
Une terre qu’elle avait quittée sans réellement s’être préparée. Si elle n’avait oublié aucune de ses armes, elle n’avait en dehors de ça que le strict minimum. Le peu de nourriture qu’elle avait conservé sur elle ne lui avait tenu que quelques jours, et la faim l’assaillait de nouveau. Aucune zone hospitalière à l’horizon, elle ne pouvait pas compter comme auparavant sur la bonté de ses rencontres. La Bugeisha repéra toutefois un rocher sur lequel elle décida de s’installer, tentant de se faire aussi discrète qu’elle en était capable, et employa ce temps libre à griffonner un de ses carnets des mots que son esprit acceptait de lui délivrer poétiquement. Ainsi se ferait-elle probablement suffisamment vulnérable pour devenir la proie d’un prédateur qui viendrait combler son appétit.